MOOC Consommer responsable S6.3a – Les limites de l'économie circulaire Philippe Bihouix, ingénieur, membre fondateur de l'institut Momentum Introduction  Notre consommation d'énergie et de matières premières n'est pas soutenable. Face aux défis qui nous attendent, changement climatique, épuisement des ressources, pollution, certains en appellent à plus d'innovations technologiques. Nanotechnologies, biotechnologies, économie du numérique seraient supposées aboutir à une économie plus circulaire, nous sauver des désordres environnementaux de la planète. Ces solutions sont malheureusement utopiques, car nous allons nous heurter à un problème de ressources non renouvelables, essentiellement des métaux, qui ne peuvent être qu'imparfaitement recyclés, ce phénomène s'aggravant avec l'utilisation de hautes technologies. 1. Énergies et ressources sont intimement liées Il existe un lien très fort entre énergie et ressources. Nous disposons encore de beaucoup de ressources métalliques, de la manière qu'il reste énormément de réserves de gaz, de pétrole, de charbon, mais bien plus hélas que ce que peut supporter le système de régulation planétaire climatique. Mais comme pour le pétrole et pour le gaz, la qualité et l'accessibilité de ces ressources minières sont en baisse, car nous exploitons un stock de minerais qui ont été créés, enrichis par la planète. Logiquement, nous avons commencé par exploiter les ressources les plus concentrées, les plus faciles à extraire. Les nouvelles mines ont des teneurs en minerais plus basses, ou sont plus profondes, plus difficiles à exploiter et il faut leur consacrer plus d'énergie pour extraire la même quantité de métal. Les énergies renouvelables ont certes un potentiel énorme, mais il faut des métaux pour capter, convertir et stocker cette énergie. Plus intermittentes, moins concentrées, ces énergies renouvelables réclament plus de métal par kilowattheure d'électricité produite. Certaines technologies font appel à des métaux plus rares. D'où ce premier constat : énergie et métaux sont intimement liés. Si nous n'avions qu'un problème d'énergie et de climat, il suffirait de tartiner la planète de panneaux solaires, d'éoliennes et smart greens. Si nous n'avions qu'un problème de disponibilité métallique, mais accès à une énergie abondante et presque infinie, il suffirait alors de creuser toujours plus loin dans des minerais de moins en moins concentrés. Mais nous avons les deux problèmes en même temps : moins de métaux qui réclament plus d'énergie ; moins d'énergie qui réclame plus de métaux. Et ces deux problèmes interagissent et s'aggravent l'un l'autre. 2. L'économie circulaire est utopique Les métaux sont théoriquement recyclables à l'infini. L'économie circulaire, basée en particulier sur l'éco conception et le recyclage, devrait donc être une réponse logique à la pénurie métallique, mais celle-ci ne pourra fonctionner que très partiellement si nous ne changeons pas radicalement notre manière de produire et de consommer. D'abord, car il faut pouvoir physiquement récupérer la ressource avant de la recycler, ce qui est impossible dans le cas des usages dispersifs ou dissipatifs. En effet, les métaux sont souvent utilisés sous la forme chimique comme additifs dans les encres, les peintures, les plastiques, les verres et bien d'autres produits industriels et de notre vie courante. Ensuite, parce qu'il est très difficile de recycler correctement. Nous concevons des produits d'une diversité et d'une complexité inouïe à base de composites, d'alliages, de composants miniaturisés et intégrés. Et notre capacité à récupérer, à repérer correctement les ressources, puis à les séparer et à les réutiliser est limitée. Ainsi par exemple, les métaux non ferreux inclus dans les aciers de première fonte vont être récupérés et ferraillés tous ensemble, puis réutilisés dans des usages moins nobles, comme par exemple les ronds à béton dans le bâtiment. Ils auront été donc physiquement récupérés et effectivement recyclés, mais ils auront été perdus fonctionnellement et ne seront plus utilisables par les générations futures. Les innovations vertes basées sur le tout technologique, comme les bâtiments intelligents, la voiture électrique ou hybride ou hydrogène, les énergies renouvelables dernier cri, ne feront qu'aggraver ces phénomènes et qu'emballer le système, car elles sont basées sur des technologies plus complexes, plus dures à recycler, des matières premières plus rares. Ainsi, la croissance verte et non polluante est une idée largement utopique.