MOOC Consommer responsable S5.5 – Pour une formation citoyenne des ingénieur.e.s Lola Guillot, membre du projet FORMIC pour l’association Ingénieurs Sans Frontières (ISF) Bonjour. Je représente le projet Former l'ingénieur citoyen d'Ingénieurs sans frontières. Aujourd'hui, on va parler de comment transformer nos formations pour repenser la posture et la place de l'ingénieur dans la société pour plus de justice sociale et environnementale. 1. Dépasser les postures idéologiques ? - Face aux enjeux environnementaux, il est nécessaire de dépasser les postures idéologiques pour trouver de réelles solutions. - Mais, est-ce que ça veut dire que les problèmes écologiques n'ont pas d'origine politique ? - Oui, mais, moi, je croyais que c'était notre système et nos choix politiques qui nous avaient amenés là. - Finalement, est-ce que ce qui fâche, ce n'est pas le cœur du problème ? - Nous, chez Ingénieurs sans frontières, nous souhaitons que l'impact de la technique sur l'organisation politique de la société soit enseigné au cours de la formation, ceci afin de comprendre que la posture neutre est également politique et correspond généralement à réfléchir dans l'idéologie dominante. 2. Mesures rationnelles ? - Oui, mais tout de même, on peut quand même dire que l'approche de l'ingénieur, rigoureuse, scientifique et tournée vers l'action est incontournable pour entreprendre des mesures rationnelles. - Oui, mais est-ce qu'on peut vraiment être rationnel ? - Moi, j'ai l'impression qu'être rationnel, ça revient à simplifier des trucs complexes et, du coup, à de se déconnecter complètement de la réalité. - Est-ce que c'est la logique qui doit toujours diriger nos vies ? - Étant donné que nous sommes dans un monde complexe et incertain, nous pensons qu'il ne peut pas être parfaitement rationalisé sans hypothèse simplificatrice et sans passer sous silence certains aspects du problème. Nous défendons donc l'idée selon laquelle la vision de ce qu'est la réalité doit se construire collectivement. 3. Pragmatique ? - Je disais donc qu'il faut être pragmatique. - Je ne sais pas, est-ce qu'être pragmatique, ça n'empêche pas d'imaginer de nouvelles choses ? - J'ai l'impression qu'on utilise ce mot quand on ne veut surtout pas remettre en cause le système global. - Est-ce que les problèmes d'aujourd'hui ne nécessitent pas qu'on cherche à inventer de nouveaux systèmes ? D'ailleurs, Albert Einstein dit bien qu'on ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont engendrés. - Chez Ingénieurs sans frontières, nous militons pour une plus grande pluralité scientifique pour sortir d'un enseignement inscrit dans le cadre de pensée économique et technoscientiste dominant. 4. L’intérêt général ? - Bon, on est d'accord que c'est pour servir l'intérêt général. - Mais en vrai, on parle de l'intérêt de qui et de quoi ? - J'ai l'impression que tout le monde n'entend pas du tout la même chose dans ce terme. - Est-ce que l'intérêt général n'est pas utilisé aujourd'hui pour désigner l'intérêt des dominants ? Ou, au moins, pour désigner la vision que les dominants se font de l'intérêt général ? - Nous considérons l'intérêt général comme non trivial, et nous défendons sa co-construction par la société civile. 5. Innovation ? - D'accord, mais en termes d'action, l'investissement dans l'innovation est indispensable pour relever les défis technologiques de demain. - Mais c'est quoi l'innovation ? - C'est tout ce qui est nouveau. - Est-ce que tout ce qui est nouveau est bon ? - Nous dénonçons la tendance des formations d'ingénieurs à alimenter une croyance dans le progrès comme moteur d'évolution des sociétés. 6. Former les ingénieurs ? - Pour en revenir au sujet de départ, il est donc important de former les élèves ingénieurs à ces nouveaux enjeux. - Oui, mais qui décide de ce qu'on apprend à l'école ? Pourquoi on nous enseigne ça ? Est-ce que la pédagogie utilisée permet de développer la créativité ? - J'ai l'impression qu'on nous incite plutôt à réfléchir et innover dans certains cadres de pensée. - Et pourquoi on n'apprend pas déjà à vivre ensemble ? - Nous pensons qu'il est nécessaire de développer l'éducation populaire en tant que démarche pédagogique pour promouvoir l'esprit critique, l'autonomie et la réflexivité, croiser les regards et construire sa critique pour apprendre à se connaître, à connaître autrui et à identifier les jeux de pouvoir dans lesquels nous sommes impliqués. 7. Aider les pays en développement ? - En tout cas, on peut quand même conclure qu'il est de notre devoir de former des ingénieurs à mettre ces innovations au service de ceux qui en ont besoin dans les pays en développement, à construire une société durable. - Non, mais avant d'expliquer aux autres ce qu'ils doivent faire, est-ce qu'on est sûr d'avoir les bonnes solutions ? Enfin, les scientifiques ne sont pas toujours d'accord entre eux, alors comment on détermine qui a raison ? - Il me semble que l'histoire nous apprend que, des fois, les scientifiques ne pensent pas à certains impacts sociétaux des solutions techniques qu'ils proposent. Alors difficile d'être sûr qu'on a pensé à tout aujourd'hui et qu'on peut conseiller ça à toute la planète. - Et qui est-on pour dire aux autres comment ils doivent construire leur société ? - Nous, nous pensons qu'il est nécessaire d'enseigner la complexité socio-environnementale des choix techniques, que ce soient les controverses scientifiques, l'épistémologie, les jeux de pouvoir ou les modèles de société qu'ils impliquent qui sont trop souvent partiels dans les formations en ingénierie et qui imposent à tort une vision dépolitisée et neutre de la technique. La responsabilité de l'ingénieur doit se comprendre comme une démarche collective pour permettre de dénoncer d'éventuels préjudices ou mécanismes de domination à l'œuvre, qu'ils concernent l'expression de la démocratie, la sauvegarde des biens communs ou des droits des peuples pour construire des solutions alternatives. Nous insistons sur la co-construction et la pluralité des savoirs en renonçant à la position dominante de notre expertise et son apport chez nos pairs du Sud. Pour défendre ces idées, nous travaillons sur la gouvernance de l'enseignement supérieur pour démocratiser les formations et créer des espaces où ces questions pourront être discutées et entendues. Le projet Former l'ingénieur citoyen (FormIC) est un programme d'Ingénieurs sans frontières, association de solidarité internationale. Pour plus d'informations, rendez-vous sur : www.isf-france.org.