MOOC Consommer responsable S5.4 – L’idéologie de la non-idéologie à la business school de Harvard Michel Anteby, professeur de sociologie des organisations à l'université de Boston. Bonjour. Mon nom est Michel Anteby et je suis professeur de sociologie des organisations à l'université de Boston. J'ai décidé de participer à ce cours sur la consommation responsable parce que dès que j'ai entendu parler de ce projet, je me suis dit qu'il était nécessaire aussi de parler de la production responsable. En effet, en tant que consommateur, on participe à un écosystème, mais en tant que producteur, notamment les patrons d'entreprises sont les acteurs centraux dans ces questions et ces dynamiques. Ils le sont parce qu'ils doivent produire de manière responsable des produits que nous pouvons acheter, mais aussi parce qu’eux-mêmes consomment via la sous-traitance des produits et des services qui sont très importants dans l'économie nationale et mondiale. Je voulais partager avec vous quelques idées sur la production des patrons et de manière très précise, la socialisation des patrons dans les business schools américaines. J'ai écrit un livre qui s'appelle L'école des patrons et qui parle de la socialisation des professeurs à la Harvard business school aux États-Unis, mais aussi de la socialisation des élèves. Ce livre montre qu'il est très difficile, en tout cas dans le contexte que j'ai étudié, de stabiliser une position éthique ou morale, par exemple sur une consommation responsable, dans ce contexte académique. La raison principale est que les processus en place pour socialiser les étudiants et les professeurs veulent englober le plus de points de vue possible. A priori, c'est intéressant et c'est un objectif très louable, mais en même temps, cela crée une dynamique parfois un peu perverse qui fait qu'il est très difficile, voire impossible, de prendre une position institutionnelle sur un sujet donné, notamment sur la consommation durable, parce que cette position risque d'aller à l'encontre de celle d'autrui. C'est en ce sens qu'il y a des mécanismes que j'appelle "un silence parlant" qui contribuent à rendre ce genre de discussions très délicates et à empêcher une prise de position institutionnelle. Je vais vous donner un exemple précis de ce que j'entends par "silence parlant. " Dans le mode d'enseignement délivré à la Harvard business school, les élèves doivent analyser des cas à chaque session qui font ensuite l'objet d'une discussion collective. Ces cas, teaching notes en anglais, sont la base de l'enseignement à l'école. Mais de manière plus importante pour nous, les cas sont aussi accompagnés de notes d'enseignement à l'usage uniquement des professeurs pour leur apprendre à enseigner ces cas. J'ai fait une analyse approfondie de ces notes et je montre notamment que les notes indiquent de manière très précise les étapes nécessaires à l'explication d'un cours, c'est-à-dire comment on commence les cinq premières minutes, comment on transitionne vers un autre segment du cours, et ainsi de suite. Ce que les notes ne font pas en revanche, c'est stabiliser une conclusion ou un point de vue éthique ou moral pour résoudre un problème dans l'entreprise. Et ce silence qui est intentionnel vise à permettre l'émergence de nombreux points de vue. En même temps, il empêche la prise de position ferme institutionnelle. Cette absence de position a été vue de manière assez flagrante lors d'épisodes il y a quelques années à l'école où il y avait une discussion sur la parité homme femme au niveau du corps enseignant. Des initiatives ont été lancées, des comités mis en place, mais ce qu'on a rarement entendu, c'est une prise de position collective sur le sujet, et de fait, elle ne peut pas être entendue puisque prendre une position sur un sujet implique aussi de prendre position contre d'autres personnes sur le même sujet. L'éviction du conflit, "le silence parlant", et bien d'autres dynamiques participent à cette incapacité, je pense, à prendre des positions plus fortes. Si vous êtes intéressés par ces questions, je vous encourage à plonger de manière un peu plus approfondie dans les tunnels de l'école, littéralement puisqu’il y a des tunnels, et de lire un peu plus sur cette dynamique dans L'école des patrons. Sans une production responsable, on ne peut pas parler de consommation responsable. Il faut regarder du pont de vue des patrons pour comprendre comment produire responsablement.