MOOC Consommer responsable 2.5 - Le devoir de vigilance Sandra Cossart, Responsable du programme globalisation et droits humains au sein de Sherpa Introduction Dans cette vidéo, nous allons vous présenter ce qu'est le concept de devoir de vigilance et en quoi il serait un facteur de consommation responsable. En effet, aujourd'hui les consommateurs sont de plus en plus soucieux des conditions dans lesquelles sont fabriqués les produits qu'ils achètent. Et le devoir de vigilance permettrait aux consommateurs à la fois d'obtenir plus d'informations sur ces produits-là et de prévenir la violation des droits de l'Homme. 1. Pourquoi le devoir de vigilance ? Actuellement, on constate une impunité des multinationales dans le monde. Et la raison est que la réalité juridique n'est pas allée de pair avec la réalité économique qui aujourd'hui est basée sur l'existence de ces groupes de sociétés et les esprits ont été marqués par la marée noire de l'Erika, la catastrophe sanitaire de Bhopal, l'effondrement du Rana Plaza ou encore, les victimes des travaux de la Coupe du monde au Qatar. Il y a donc nécessité d'une régulation pour responsabiliser ces multinationales. Et un devoir de vigilance permettrait à la fois la prévention et la réparation. Sherpa est pionnière depuis 2001 sur ces questions de responsabilité des maisons mères pour l'activité de leurs filiales et de leurs sous-traitants à l'étranger. Nous agissons aussi auprès des pouvoirs publics ou des décideurs politiques pour adapter le cadre législatif aux activités économiques. Et nous agissons également auprès des multinationales en déposant des plaintes. Par exemple, nous avons déposé une plainte contre Vinci pour travail forcé au Qatar ou contre Auchan pour son implication dans le drame du Rana Plaza au Bangladesh ou, enfin, contre Samsung pour travail des enfants en Chine. Cependant et pour l'instant, la loi française ne permet toujours pas d'indemniser les victimes. On a donc besoin d'une loi comme celle sur le devoir de vigilance. 2. Qu’est-ce-que la proposition de loi sur le devoir de vigilance ? La proposition de loi sur le devoir de vigilance permettrait la responsabilisation des multinationales, de leurs filiales et de leurs sous-traitants à l'étranger. Elle permettrait donc une identification et une prévention des incidences négatives de leurs activités et le respect des droits de l'Homme par l'élaboration de plans de vigilance. Elle permettrait également, dans un article deux, le renvoi au droit commun de la responsabilité en cas d'inexécution de l'obligation. 3. Quelles sont les limites de cette proposition de la loi selon Sherpa ? Cette proposition de loi sur le devoir de vigilance, tant décriée par les organisations patronales, n'est pourtant pas la panacée pour les victimes. Et en effet, ces victimes aujourd'hui doivent encore prouver que c'est bien l'entreprise qui a commis une faute et prouver que cette faute est responsable du dommage, donc prouver le lien de causalité. Mais elles n'en ont pas les moyens compte tenu de la complexité des chaînes de valeurs. Donc, il faudrait renverser la charge de la preuve et que ça soit à l'entreprise de prouver qu'elle n'est pas responsable. La deuxième critique qu'on peut faire sur cette proposition de loi, c'est que peu d'entreprises seraient concernées, environ uniquement cent trente ou cent cinquante, car les seuils déterminés dans cette proposition de loi sont inadaptés au vu des derniers drames : seules les entreprises de plus de cinq mille salariés en France ou dix mille à l'étranger seraient concernées. Donc des entreprises qui ont été impliquées pourtant dans le drame du Rana Plaza y échapperaient, de même que des entreprises du secteur extractif qui était pourtant un secteur à risques. 4. Cette loi serait-elle plutôt une opportunité ou un frein ? Les entreprises nous disent que ce devoir de vigilance serait un frein à la compétitivité, mais les entreprises ne peuvent pas baser leur développement économique sur la violation des droits humains. Un deuxième argument en faveur de ce devoir de vigilance est que c'est une opportunité pour les entreprises, selon Kenneth Arrow, prix Nobel d'économie, car il existe un lien vertueux entre les bonnes pratiques des entreprises et leur croissance. Enfin, les entreprises nous disent que ce seraient des mesures trop contraignantes, mais ce sont des mesures raisonnables, comme le dit la proposition de loi, à mettre en place à la hauteur des moyens de l'entreprise. Et par ailleurs, certaines entreprises affirment déjà mettre en œuvre de telles mesures dans leurs engagements éthiques, donc ça ne serait pas une révolution pour elles. Les consommateurs et les citoyens sont de plus en plus informés et attentifs aux conditions de travail et au respect des droits de l'Homme par les entreprises. Donc, le devoir de vigilance permettrait une traçabilité sur l'origine des produits qu'ils consomment. En effet, trois Français sur quatre pensent que les multinationales françaises doivent être tenues responsables devant la justice en cas d'accident. Et 95 % déclarent que ce genre de catastrophes humaines ou environnementales pourraient être évitées si les entreprises multinationales prenaient plus de précautions (sondage CSA de janvier 2015). Le devoir de vigilance devrait donc garantir aux consommateurs que les produits qu'ils achètent sont élaborés de façon responsable. 5. Que doit faire la France ? Le texte de la proposition de loi sur le devoir de vigilance a été adopté à l'Assemblée nationale le 30 mars 2015, puis rejeté au Sénat le 18 novembre 2015. Donc, il y a un retour du texte à l'Assemblée nationale qui nécessite une deuxième inscription à l'ordre du jour pour que le texte puisse être voté. Les politiques et les entreprises justifient leur réticence à l'égard de ce texte en disant que la proposition est une initiative isolée de la France. Mais la France n'est pas seule, bien au contraire, puisque de nombreux pays européens et l'ONU travaillent aussi sur ce sujet. Conclusion La France a donc un rôle majeur à jouer au sein de l'Union européenne et à l'ONU pour permettre la reconnaissance d'un devoir de vigilance pour les entreprises multinationales.