MOOC Consommer responsable S1.6 – Les limites du développement de la responsabilité sociale au Sénégal Gloria Paraisso-Jossou, Directrice générale du cabinet RS Consulting (Sénégal) Introduction Depuis plusieurs années, la responsabilité sociétale des entreprises connaît un certain essor au Sénégal. Cela est notamment dû à l'organisation et à la tenue d'un forum annuel organisé par l'initiative RSE Sénégal et qui contribue à organiser et réunir, bien entendu, tous les acteurs du domaine, mais également qui contribue à propager cette notion au Sénégal. Il existe plusieurs référentiels, mais si vous voulez résumer la RSE en quelques mots, je pourrais dire que la RSE est une démarche qui consiste pour une entreprise à tenir compte des conséquences de ses activités sur ses parties prenantes lorsque ces activités ont un caractère ou une incidence environnementale, économique et sociale. Retenons donc que pour l'essentiel, la RSE a un caractère volontaire et que non seulement elle concerne les entreprises, mais que désormais, elle s'applique a toutes les organisations. Quand on dit organisations, on parle d'entreprises, mais également d'associations, de collectivités, d'États, d'ONG, etc., et que c'est leur contribution au développement durable. Pour en revenir à notre sujet, trois causes principales expliquent, selon moi, les limites du développement de la RSE malgré l'intérêt qu'elle suscite. Premièrement, la RSE est victime de préjugés. Deuxièmement, elle demeure un concept méconnu et surtout, ses avantages sont encore méconnus des acteurs et du grand public. Enfin, il y aurait une forme d'inadaptabilité du concept qui mérite d'être davantage appréhendé et ancré dans les réalités locales. 1. La RSE est victime de préjugés Pour en revenir aux préjugés, un des plus répandus, c'est que la RSE, c'est l'affaire des grandes entreprises. Il est vrai que la RSE est l'apanage des grandes entreprises qui avaient l'habitude auparavant d'intervenir sur le plan social en recourant à des activités de mécénat ou de sponsoring. Du coup, le RSE est assimilée à ces notions et demeure dans la tête de certains comme un outil de communication ou de marketing publicitaire, mais sans intérêt réel pour la gestion de l'entreprise. Par conséquent et malheureusement, les TPE et les PME, les Petites et Moyennes Entreprises, alors même qu'elles constituent l'essentiel du tissu économique du pays, considèrent que la RSE n'est pas à leur portée, parce que, dans leur esprit, elle est réservée aux grandes entreprises. 2. Une méconnaissance du concept et de ses avantages Pour bon nombre d'acteurs, la RSE est une contrainte avec quasiment aucun intérêt. Une contrainte de plus. Or, la RSE peut apporter de nombreux avantages. Ainsi, sur le plan social, une politique appropriée et menée au profit d'employés d'une entreprise contribuera à améliorer leurs conditions de travail, les conscientisera par rapport à l'effort que fait l'entreprise à leur égard et bien entendu, améliorera leur implication au profit de cette entreprise. Sur le plan environnemental, une bonne politique de gestion des déchets, et donc de recyclage, permettra à certaines industries de faire des économies en termes d'énergie en recourant à ces déchets comme combustible, par exemple. Autre chose, sur le plan économique, le renforcement des capacités des fournisseurs d'une entreprise permettra à ces fournisseurs de fournir des produits de meilleure qualité, ce qui immanquablement impactera la qualité des produits et services fournis par l'entreprise qui aura eu recours à leurs services. Donc, on voit bien que la RSE comporte un certain nombre d'avantages également sur le plan sociétal en termes de bonne gouvernance. Non seulement les avantages sont au profit des parties prenantes, mais également au profit des entreprises qui recourront à cette démarche en augmentant leur implication, en contribuant à l'augmentation de leurs performances et par conséquent, en créant un avantage concurrentiel par rapport aux entreprises qui ne pratiquent pas la RSE. Est-ce qu'on peut dire que la RSE est un partenariat gagnant-gagnant ? C'est le cas, du moins, c'est mon avis, lorsqu'elle réussit à combiner prise en compte des besoins des parties prenantes, en même temps que prise en compte de la stratégie de l'entreprise. 3. Un concept qui n’est pas encore bien adapté aux réalités locales L'adaptabilité entre guillemets de la RSE, il nous faut nous rappeler que c'est un concept qui a été créé par les pays occidentaux et qui, parce qu'il a du mal à prendre encore localement, est perçu comme un concept étranger. Et cela est renforcé par certaines politiques RSE menées par des filiales de grandes entreprises installées au Sénégal, mais dont les politiques sont influencées par les politiques des sièges de ces filiales installées à des milliers de kilomètres d'ici et qui ne sont pas forcément connectées aux besoins des parties prenantes locales. L'un dans l'autre, tout cela crée une perception par les acteurs d'une inadéquation et d'une inadaptabilité. Bien entendu, il ne s'agit pas de revenir sur les fondamentaux de la RSE qui sont le fruit d'une longue et réelle concertation. Toutefois, il s'agit de prendre en connaissance de cause le fait que le Sénégal, comme bon nombre de pays africains, est encore un pays en développement avec des priorités, des enjeux spécifiques aux entreprises et aux populations, compte tenu justement de l'environnement économique, politique et sociologique de ce pays. De plus, il me semble que si la RSE était considérée comme un levier de développement économique, social, sociétal respectueux de l'environnement et donc contribuait à servir les préoccupations des entreprises et des populations, ça contribuerait à ce que les acteurs économiques manifestent plus d'intérêt à la responsabilité sociétale. Il s'agit donc de les convaincre de son utilité et de la nécessité d'intégrer la RSE à leur stratégie globale. Pour conclure, trois solutions sont possibles Pour conclure, il me semble que trois solutions seraient à même de répondre aux causes que nous avons identifiées. La première des choses, c'est d'informer et de former massivement les étudiants des grandes écoles et des universités, mais également les cadres et les managers des entreprises sur le potentiel de la RSE et comment ils peuvent l'utiliser au mieux. La deuxième chose serait de faire preuve de pragmatisme et de contextualiser davantage la RSE en initiant des politiques conçues localement à la base et tenant compte réellement des besoins des parties prenantes et également de la stratégie de l'entreprise, de sorte que ce soit le résultat d'une convergence d'intérêts. Troisièmement, optimiser le caractère volontaire de la RSE en légiférant et en adoptant et en unifiant des politiques incitatives au profit des entreprises, mener également des politiques sectorielles au profit de ces entreprises, mais tenant également compte des avis, des perceptions, des remontées de la base, à savoir les populations, la société civile et les syndicats. C'est, à mon sens, grâce à ces mesures, que la RSE pourra devenir une véritable question d'ordre sociétal.