Bonjour. Pour cette séquence, nous allons voir la façon dont a évolué l’implication du citoyen dans la prise de décisions avec des risques environnementaux conséquents et nous allons faire des retours sur expérience pour mieux comprendre ce phénomène. Des risques technologiques à la responsabilité sociétale. Si nous faisons un premier retour sur expérience par rapport à ce qui s’est passé au niveau des pluies acides, nous allons comprendre comment finalement l’incertitude scientifique, comment les risques environnementaux, peuvent devenir des enjeux de négociation et peuvent devenir finalement des éléments qui vont servir tels ou tels intérêts. Sur les pluies acides, rappelons un petit peu le phénomène. Les pluies acides, phénomène qui survient à la fois aux Etats-Unis et en Europe du nord dans le milieu des années 1970, en gros les forêts sont en train de mourir et les grands lacs américains également. Tout le monde se préoccupe de cette question qui devient véritablement transfrontière puisqu’elle concerne plusieurs pays et on se rend compte à ce moment-là qu’il est nécessaire de réduire des émissions, notamment de SO2, émises soit par les centrales à charbon, notamment en Allemagne à l’époque pour ce qui concerne l’Europe, soit par les émissions sortant des véhicules également et, à partir de ce moment-là, il va y avoir toute une série de négociations et d’acteurs qui vont faire valoir les uns et les autres leurs intérêts. En Europe, alors que la polémique fait rage, finalement, ce sont les constructeurs automobiles allemands qui réussissent à opérer ce qu’on appelle une capture réglementaire et à proposer une solution à l’Europe qui en avait bien besoin, c’est la solution des pots catalytiques et il y a une réglementation qui survient et qui implique finalement l’ensemble des citoyens qui vont devoir mettre des pots catalytiques sur leur automobile. On voit bien qu’il y a une capture, cela veut dire qu’au milieu d’une incertitude et des conséquences très importantes pour l’environnement, certains acteurs se sont emparés du problème environnemental et ils l’ont détourné à leur profit. Cela, c’est un élément important puisqu’on voit à partir de ce moment-là comment des groupes de pression peuvent influer à la fois sur les décideurs politiques et parfois le rôle des scientifiques qui peuvent être aussi manipulés dans un sens ou dans un autre, ou leurs travaux manipulés. Nous avons un autre exemple qui est tout à fait intéressant, qui est l’exemple de ce qui s’est passé à Times Beach, aux Etats-Unis, dans le Missouri, dans les années 1970, une petite ville qui est à ce moment-là contaminée par la dioxine. La dioxine s’est accumulée dans une usine et c’est là un sous-effet d’un produit antiseptique. L’usine ferme puisque le scandale arrive, il y a des problèmes de mortalité, des problèmes de morbidité. L’usine ferme, néanmoins les boues continuent à se répandre et elles se fixent dans les poussières. Il y a des inondations qui vont entraîner un mélange qui contamine l’ensemble finalement des poussières et des boues qui rentrent dans les maisons et, à partir de ce moment-là, il y a une véritable catastrophe écologique et sanitaire qui se passe. On finit par fermer la ville. La ville est une ville fantôme aujourd’hui, il y a plus de 30 ans, elle est toujours fermée. Et là, vous avez l’exemple typique finalement de décideurs qui ont mis beaucoup de temps pour finalement, non seulement informer la population, mais également pour commencer à prendre des décisions et il y a eu ce qu’on appelle une décharge générale de responsabilités, aussi bien de la part de l’entreprise qui était responsable de ces éléments, que des pouvoir publics qui ont mis beaucoup de temps. Cela a entraîné bien sûr une véritable polémique qui a coûté cher politiquement aux acteurs locaux, et puis bien sûr à l’entreprise qui était responsable de cela. Autre exemple, l’accident de Seveso, tout le monde a déjà entendu parler même si on ne sait pas de quoi il s’agit, avec la réglementation de Seveso qui s’en est suivie, Seveso 1976, en Italie, un réacteur de l’usine XMEA explose et à ce moment-là, il y a un nuage extrêmement toxique qui se répand sur la région et cela va contaminer toute une zone de population très dense. Avec le vent, tout cela ne fait que s’étaler. Cela entraîne bien sûr, là encore, des problèmes de mortalité, des problèmes de morbidité, on met beaucoup de temps à réagir, c’est un véritable scandale et cela devient un scandale international à tel point que l’Europe là réagit et l’Europe va prendre une décision qui est la réglementation Seveso au sein d’une directive et on va avoir en 1982 véritablement une nouvelle réglementation à propos des risques d’accidents majeurs, et tout ce qui concerne les accidents majeurs dans les activités industrielles. Tous les états membres doivent désormais, je cite, c’est l’article 8 de la directive en question : « toute personne susceptible d’être concernée par un accident majeur est informée d’une manière appropriée des mesures de sécurité et du comportement adéquats à adopter dans l’éventualité d’un accident ». Donc vous voyez le retournement là qui s’est opéré, c’est-à-dire finalement, auparavant, les citoyens n’étaient jamais informés ou bien après coup lorsque c’était grave. Là, avec la directive Seveso, on passe au droit à l’information du citoyen sur les activités à risques industriels qui peuvent se produire et les concerner. Donc un droit à l’information pour tous les citoyens. Les choses se poursuivent et nous arrivons avec l’arrivée de la couche d’ozone à un autre niveau puisque là, il s’agit finalement de la première pollution globale qui concerne l’ensemble de la planète. La couche d’ozone stratosphérique diminue. Cela avait été mis en évidence depuis au moins les années 1960 mais personne ne s’en préoccupait sauf quelques scientifiques, mais à partir des années fin 70-début 80, ce qui se passe c’est qu’on voit apparaître régulièrement un trou dans la couche d’ozone et le trou ne fait que s’agrandir. Ce trou pose des vraies questions puisque la couche d’ozone nous protège des rayons ultraviolets et s’il n’y a plus de couche d’ozone, à terme, il n’y a plus d’être humain sur la planète. Evidemment, là c’est le branle-bas de combat. Des scientifiques du monde entier travaillent, une négociation internationale se met en place et il y a, là encore, comme dans le cas des pluies acides, des scientifiques dont les travaux sont utilisés pour telle ou telle thèse, et miracle, on finit par prendre une décision pour limiter et interdire l’usage de CFC, l’usage de produits utilisés depuis l’après-guerre, donc toute une série d’éléments, notamment les bombes aérosols mais pas seulement, et on se met à proposer des substituts. Peu importe les HCFC, vous pouvez vous reporter à un certain nombre d’ouvrages pour ceux qui s’y intéressent, mais ce qui est très intéressant c’est que finalement ces HCFC, on les a proposés parce qu’ils étaient tout simplement déjà existants, ils avaient été proposés par une industrie américaine, en l’occurrence DuPont de Nemours, à un moment où les décideurs avaient besoin de trouver une solution. Mais cette solution, elle n’est pas viable puisque deux ans plus tard, on se rend compte qu’elle va entraîner l’accroissement de l’effet de serre, donc il faut interdire aussi ces HCFC. Là, cet exemple montre également que lorsqu’il y a une incertitude, lorsqu’il y a des controverses scientifiques, celles-ci peuvent être manipulées pour tel ou tel intérêt en jeu et que les solutions qui sont trouvées ne sont pas les solutions qui sont optimales du point de vue environnemental. On pourrait aussi donner l’exemple du génie génétique où là il s’agit de retravailler sur toute l’information du vivant. C’est une nouveauté, des innovations qui sont évidemment très importantes du point de vue de leurs impacts. Elles peuvent avoir des effets positifs mais des effets également extrêmement négatifs. Il y a donc des risques dont on ne peut pas donner les probabilités, des incertitudes radicales. C’est la raison pour laquelle on est passé à l’étape supplémentaire qui nécessite de faire participer le citoyen dans les choix et c’est ce que la commission appelle maintenant la gouvernance participative. Même chose à propos du changement climatique. Le changement climatique qui est déjà en cours entraîne toute une série d’impacts sur l’ensemble de la planète de façon plus ou moins importante selon les régions du monde, mais ce changement climatique, bien sûr, pour le résoudre, nécessite là encore toute une série de mesures qui impactent des intérêts économiques. Donc nous avons là encore des incertitudes, des intérêts économiques en jeu si bien que vous avez bien vu à propos de la COP21 les solutions qui sont prises sont d’abord des solutions qui font l’objet d’un consensus et qui ne sont pas nécessairement les meilleures pour lutter contre ce changement climatique. Cela signifie que de plus en plus nous sommes confrontés par rapport à ces problèmes majeurs d’environnement et ces risques technologiques majeurs, nous sommes confrontés à des choix sociétaux extrêmement difficiles, qu’il s’agisse des Etats, mais qu’il s’agisse également des entreprises. Les entreprises, lorsqu’elles prennent des décisions d’ouvrir ou non tel ou tel centre de production, doivent se poser un certain nombre de questions et on se rend bien compte que se poser ces questions, cela nécessite finalement de pouvoir obtenir une légitimité du choix. En d’autres termes, il faut être conscient que les choix comportent des risques avec des enjeux extrêmement élevés, qu’il y a des incertitudes et que finalement, laisser ce choix aux seules politiques ou aux seuls scientifiques n’est pas suffisant. Il faut intégrer la participation des parties prenantes, c’est-à-dire des citoyens concernés et c’est ce qu’on appelle désormais le droit à la participation et qu’on va retrouver dans des travaux très intéressants comme ceux autour de la science post-normale qui ont influencé la commission européenne à tel point qu’aujourd’hui l’on parle du droit à la participation. Donc vous voyez qu’avec l’évolution des problèmes environnementaux, l’évolution des risques, nous sommes passés finalement d’une absence d’information au droit à l’information avec l’accident Seveso en 1976. Et puis, désormais, on parle du droit à la participation des citoyens pour légitimer et pour être sûr d’avoir plus de responsabilités par rapport à l’ensemble des enjeux environnementaux. Merci.