Bonjour. Aujourd’hui, nous allons nous interroger sur les grandes modalités de régulation en matière de développement durable, c’est-à-dire comment réguler simultanément les sphères économique, sociale et naturelle ? Donc nature, société, économie, quelle régulation pour le développement durable ? Il y a en fait trois grandes visions de la nature qui se sont développées dans les courants économiques. Les premiers économistes, les physiocrates, parlent du rôle de la nature comme étant finalement… la nature, ce sont ses lois qui doivent aussi réguler les sphères économique et naturelle. Donc les hommes, les sociétés doivent se soumettre aux lois de la nature. Une deuxième conception qui est celle des Classiques, qui est finalement une vision beaucoup plus moderne où nous avons trois sphères : économique, sociale et naturelle, qui co-évoluent, qui ont des relations entre elles et qui sont indispensables les unes par rapport aux autres. Et puis une conception plus récente qui est celle des Néoclassiques qui considèrent que finalement, c’est la sphère économique marchande qui va réguler à la fois la société et également la nature. Et on parle ainsi de l’économie de la société ou économie aussi de l’environnement. Donc c’est la rationalité économique en quelque sorte qui est amenée à réguler le développement durable. Nous voyons là que ces différentes approches qui se sont succédées au cours du temps sont intéressantes et peuvent se représenter de la façon suivante. Première, on peut donner les hiérarchies des physiocrates où on a une sphère naturelle qui englobe la sphère sociale qui elle-même englobe la sphère économique et finalement, c’est la nature qui va réguler l’ensemble du système. Et il suffit finalement de se repérer par rapport aux lois de la nature. Ensuite, nous avons ces classiques qui sont les pères fondateurs du système capitaliste, qui vont nous mettre trois sphères qui sont aussi importantes les unes que les autres. D’ailleurs, Adam SMITH a parlé beaucoup de la nature mais il a aussi écrit un ouvrage qui s’appelle La Théorie des sentiments moraux, avant son ouvrage bien connu sur La recherche sur la richesse des nations. Donc on voit bien que les préoccupations sociales, économiques et de la nature sont des préoccupations qui sont simultanées et qui entretiennent des liens les uns avec les autres. On a donc un principe de gouvernance qui est plutôt un principe d’interaction. Et puis, avec nos Néoclassiques qui sont finalement les pères de l’économie libérale, donc actuelle, qui ont dominé tout le XXème siècle, c’est l’économie qui va, grâce finalement à la rationalité économique, grâce au prix qu’elle va donner aux biens et services sociaux comme aux biens et services naturels, qui va déterminer finalement ces lois économiques, vont déterminer l’ensemble du système de développement durable et qui va réguler finalement le développement durable. C’est très intéressant puisque finalement, aujourd’hui, lorsqu’il s’agit de parler des politiques de développement durable et de la gouvernance en matière de développement durable, la littérature contemporaine à partir de 1987-1992 où il s’est agi de mettre en place des politiques de développement durable, elles sont inspirées ces politiques contemporaines de cette littérature ancienne et, parfois, elles se sont inspirées sans vraiment le savoir. Donc il est quand même important de pouvoir se repérer par rapport à ce que l’on peut proposer en termes d’instruments de régulation. D’abord, il y a toutes les politiques que l’on appelle soutenabilité faible, weak sustainability en anglais, qui ont été préconisées notamment par l’OCDE, également par un certain nombre d’écrits au niveau américain, au niveau international. Et cette soutenabilité faible, elle considère le capital naturel au côté des autres capitaux : humains et techniques, et finalement, elle considère qu’il est toujours possible de remplacer du capital naturel par du capital technique. Il y a une substitution quasi-illimitée. Et pour cela, il suffit d’investir dans le progrès technique, donc l’idée aussi d’une vision extrêmement optimiste du progrès technique. Et donc il suffit d’investir dans le progrès technique pour pouvoir finalement avoir un développement durable au fil du temps. Ce sont donc des politiques qui insistent énormément sur tout ce qui est l’investissement en recherche / développement pour pouvoir pallier aux problèmes environnementaux, et c’est ce que l’on va retrouver souvent dans un certain nombre de politiques qui sont préconisées comme solutions finalement technologiques aux problèmes de développement durable. Et cette approche de soutenabilité faible, elle a donné lieu à beaucoup de politiques, comme je l’indiquais, mais aussi tout simplement à proposer, de donner des prix suffisamment importants au capital naturel pour qu’il soit préservé via par exemple des taxes, via par exemple des permis d’émissions, qui permettent de donner un prix à un capital naturel qui n’en a pas, y compris de donner un prix par exemple aux émissions de CO2 en tout simplement proposant un prix pour le CO2. Ce sont des discussions qui ont lieu très souvent au niveau international pour trouver des solutions aux problèmes globaux d’environnement. Nous avons également cette idée finalement qui est sous-jacente à cette soutenabilité faible comme on l’indique, l’idée de la courbe Kuznets. En quelque sorte, la croissance économique, dans un premier temps, la croissance économique entraîne des problèmes environnementaux qui ne font que croître mais ensuite, grâce aux progrès techniques, grâce au stade de développement suffisant, on passe à une société post-industrielle qui va permettre de produire de façon beaucoup plus propre. Donc on est vraiment dans une vision dite aussi optimiste du développement durable qui est celle de la soutenabilité faible. L’autre vision que l’on retrouve très souvent dans les politiques, c’est celle de la soutenabilité forte qui, elle, va prendre ses racines finalement chez les physiocrates. Et cette vision de la soutenabilité forte, c’est celle de l’état stationnaire de la croissance 0 dont vous entendez parfois parler dans les discussions politiques sans vraiment trop savoir à quoi on se réfère. Donc, c’est l’idée que le capital naturel, il est intouchable. La nature, elle est indispensable. A partir de là, on ne peut pas la remplacer. Ce qui signifie qu’il va falloir considérer la nature comme une contrainte absolue à la croissance économique, d’où leur besoin d’avoir un état stationnaire, c’est-à-dire un arrêt de la croissance, c’est ce qu’on appelle aussi la croissance 0 avec déjà des travaux en 1972 dans un ouvrage du Club de Rome qui s’appelait Halte à la Croissance. Mais on retrouve aussi, c’est extrêmement intéressant, chez des auteurs comme DALY cette idée-là, DALY qui a été quand même un économiste en chef à la Banque Mondiale dans les années 1990, qui a été aussi un économiste très en vue pour composer des politiques et qui a dit que « La perspective de l’état stationnaire cherche à maintenir un niveau constant de stocks à l’aide d’un throughput minimum, c’est-à-dire à l’utilisation minimale de ressources. Et si cela implique une réduction du PNB, celle-ci est totalement acceptable ». Cela, c’est la deuxième grande vision de régulation de politique que l’on peut avoir avec des instruments qui sont plutôt des instruments de réglementation extrêmement forts. L’objectif, c’est de sauvegarder le capital naturel. Et, bien sûr, il y a une troisième voie qui est celle quand même qui, aujourd’hui, prédomine, qui cherche d’aller au-delà de cette dichotomie faible et forte et finalement, cette troisième voie, on la retrouvait chez les économistes classiques, souvenez-vous, avec ces trois sphères en interrelation les unes par rapport aux autres où il s’agit de comprendre les différents systèmes et de pouvoir travailler dans une vision de complexité pour pouvoir finalement trouver des politiques intermédiaires qui soient capables de mêler lorsque cela est nécessaire, réglementation très forte pour interdire même l’utilisation du capital naturel et, dans d’autres cas, lorsque ce capital naturel qui peut prendre plusieurs formes, lorsque ce capital naturel finalement le permet et peut être remplacé, pourquoi pas opérer des innovations technologiques et opérer des substitutions. Donc on voit que là, nous sommes vraiment dans un dépassement de la dichotomie faible et forte. Pour conclure, on peut dire qu’aujourd’hui les politiques économiques, les politiques contemporaines en faveur du développement durable se réfèrent aux trois grandes approches de la pensée économique par rapport à leur vision sur la nature et il est important de retourner aux sources pour mieux en comprendre les enjeux, mieux en comprendre également les différentes modalités. Merci.