Bonjour. Nous allons aborder aujourd’hui la nature dans la pensée économique. En effet, il est d’usage de penser que c’est un problème assez récent cette préoccupation pour l’environnement, pour la nature. En réalité, elle trouve ses racines chez les premiers économistes, comme on va le voir, même si on a eu tendance à l’oublier. La nature, dans la pensée économique. Le développement durable met l’accent, nous l’avons vu, sur l’interdépendance entre trois dimensions : l’économique, le social et la nature. Et il s’agit de respecter en fait les contraintes écologiques pour le développement économique et social, et il s’agit de comprendre finalement quelles sont ces relations et quelles sont les différentes orientations que l’on peut trouver en cette matière pour nous guider en termes de politique de développement durable. L’intérêt de la science économique pour la nature, en réalité, cet intérêt n’est pas nouveau. Contrairement à ce que nous pourrions penser, évidemment, cet intérêt s’est fortement accru depuis les années 1970 et particulièrement à partir de la conférence de Rio de 1992, mais en réalité toutes ces analyses se sont nourries auprès d’économistes, des premiers économistes, et nous allons voir en quoi l’histoire de la pensée économique est indispensable pour comprendre aujourd’hui les différentes politiques de développement durable qui sont proposées au niveau international avec les différents instruments également qui sont proposés. Nous allons voir comment, chez les physiocrates en particulier, la nature est à la base de toute la richesse d’une nation. Les physiocrates, quelques mots d’abord, c’est la première école en tant que telle de l’économie même de l’économie politique qui a à sa tête François QUESNAY, François QUESNAY qui était médecin à la cour de Louis XV et qui, en tant que médecin, va utiliser toutes les avancées qui sont à l’œuvre à ce moment-là sur la connaissance sur la circulation du sang pour essayer de comprendre comment le royaume de France peut être irrigué grâce à un certain nombre de richesses. Et il va mettre en place son fameux tableau économique qui est à l’origine en fait même de notre comptabilité nationale aujourd’hui, et on peut dire que véritablement, François QUESNAY, dont on parle peu, est un des pères fondateurs de tout notre système économique actuel. Dans son ouvrage de référence qui date de 1759, il représente toute l’économie d’une nation de façon circulaire, ce qui n’est pas sans nous faire penser aujourd’hui à ce que l’on appelle l’économie circulaire pour répondre à un certain nombre de préoccupations de gestion de l’environnement. Brièvement, quel est ce circuit économique des physiocrates ? Nous avons trois classes : la classe des propriétaires fonciers qui est représentée par les nobles à l’époque, qui est celle dont tout dépend, selon les physiocrates, puisque grâce à leurs terres, ils vont pouvoir faire travailler les sols ; je dirais la seule classe productive qui est constituée finalement de tous les travailleurs autour de la terre au sens large puisque cela comporte en fait toutes les richesses de la nature ; et nous avons une troisième classe qui est considérée comme stérile, ce qui est tout à fait intéressant, qui est en fait, à l’époque, cela concerne les commerçants et également toutes les manufactures, l’industrie, et qui représente en réalité la classe des bourgeois à l’époque. Mais on voit qu’il y a une véritable analyse du circuit économique, du rôle de la nature, pour pouvoir irriguer tout ce fonctionnement, que la nature est indispensable à tel point que je vous ai indiqué là un certain nombre de citations, mais si vous allez regarder de plus près chez les physiocrates, vous allez voir que toute cette approche est extrêmement foisonnante autour du rôle de la nature. Prenons CANTILLON par exemple, CANTILLON qui était véritablement un des conseillers du roi à l’époque : « Toutes les denrées de l’Etat sortent directement ou indirectement des mains du fermier », donc on voit le rôle de la classe productive. « C’est la terre qui produit toutes les choses, excepté le poisson. Encore faut-il que les pêcheurs qui prennent le poisson soient entretenus du produit de la terre ». QUESNAY lui-même écrit que « Le souverain et la nation ne perdent jamais de vue que la terre est l’unique source de richesses » et puis le marquis DE MIRABEAU qui écrit : « La terre est la mère de tous les biens ». Donc, nous voyons bien que là, la nature est au centre du système économique. Plus tard, les physiocrates vont être supplantés par les économistes classiques. Les économistes classiques, ce sont en fait ce que l’on appelle les pères de l’économie libérale actuelle. Les économistes classiques, eux, vont n’avoir de cesse que de démontrer le rôle de la classe productive qui est à cette époque cette fois la classe des bourgeois, c’est-à-dire des capitalistes, et de montrer le rôle de l’industrie. Néanmoins, ces classiques, depuis Adam SMITH qui est leur père fondateur avec la recherche sur la richesse des nations, cela dit bien ce que cela veut dire, quelle est l’origine de la richesse des nations, Adam SMITH en 1776, mais ensuite tous ceux qui vont lui succéder, qu’il s’agisse de Stuart MILL, qu’il s’agisse de MALTHUS, de RICARDO ou de Jean-Baptiste SAY, vont tous mettre la nature au centre du problème de la production économique. Donc, la nature va avoir un rôle moteur dans l’industrie, autant dans l’industrie que dans l’agriculture. Donc on va franchir un pas de plus et voilà encore quelques citations intéressantes d’Adam SMITH : « Dans la culture de la terre, la nature travaille conjointement avec l’homme ». Jean-Baptiste SAY dit lui : « Qu’est-ce que les instruments naturels de l’industrie ? Ce sont les instruments que la nature a fournis gratuitement à l’homme et dont il se sert pour créer des produits utiles ». Et puis John Stuart MILL qui dit : « N’y a-t-il pas la terre elle-même, ses forêts, ses eaux et toutes les richesses naturelles qui sont sur sa surface ? Ces richesses sont l’héritage commun du genre humain ». Donc, vous voyez là toute une série d’approches des premiers économistes libéraux, les pères fondateurs du système capitaliste, qui vont autant insister sur le rôle de la nature et celui qui est à mon avis encore le plus intéressant puisque David RICARDO est celui, parmi les classiques, qui s’est préoccupé des différentes étapes du développement économique d’une nation, RICARDO écrit : « La nature ne fait-elle rien pour l’homme qui travaille dans les manufactures ? Les propriétés du vent et de l’eau qui actionnent nos machines et qui aident à la navigation ne sont-elles rien ? La pression atmosphérique et la compressibilité de la vapeur qui nous permettent de faire fonctionner les moteurs les plus prodigieux ne sont-elle pas des dons de la nature ? On ne peut mentionner aucune manufacture dans laquelle la nature n’assiste pas l’homme et qui plus est ne le fasse généreusement et gratuitement ». Un point important cette notion de gratuité qui va finalement faire que l’on va occulter le rôle central de la nature dans les siècles qui vont suivre parce que, justement, la nature le fait gratuitement. Elle n’a pas de prix et c’est justement parce que les économistes par la suite vont se focaliser sur les biens qui passent par le marché, les biens qui ont un prix, que petit à petit la nature qui était centrale dans les premières analyses économiques du système capitaliste, que petit à petit cette nature va disparaître et, chose curieuse, elle réapparaîtra plusieurs siècles plus tard, 200 ans plus tard pratiquement, tout simplement en raison de sa raréfaction et c’est parce qu’elle devient rare qu’on va commencer à se poser aussi le problème de son prix. Je vous remercie.