Bonjour. Je suis Sylvie FAUCHEUX, professeur des universités au Cnam, spécialisée en économie de l’environnement et du développement durable. Aujourd’hui, nous allons parler des défis sans précédent que constitue le développement durable et voir finalement comment y faire face. Le développement durable, lorsqu’il a été propulsé à la fin des années 1980, il y a eu un certain nombre de travaux pour essayer de définir de quoi il était question, et on peut dire qu’il y a un certain nombre de thèmes sur lesquels il y a un accord qui est toujours d’ailleurs d’actualité. Le premier thème important est celui selon lequel les problèmes d’environnement, de protection de la nature, sont aussi liés à des questions d’inégalités sociales. En d’autres termes, le développement durable implique que les questions d’environnement, ne sont pas simplement des problèmes de riches, de pays riches. En l’occurrence, ce sont les pays les plus pauvres qui auront à souffrir par exemple le plus des changements climatiques et c’est d’ailleurs le cas notamment en Afrique de l’Ouest mais dans beaucoup de pays de l’Asie. C’est aussi les pays les plus pauvres qui sont contraints pour pouvoir survivre de surexploiter leurs ressources naturelles, leurs forêts par exemple, ou bien d’autres types de ressources naturelles, on pourrait parler aussi par exemple des poissons. Donc c’est une chose importante, c’est-à-dire qu’environnement et finalement pauvreté sont extrêmement liés. C’est un point que va souligner le développement durable. Ensuite, il s’agit de dépasser le clivage Nord-Sud. En d’autres termes, les problèmes d’environnement deviennent des problèmes globaux, et donc ils concernent aussi bien les pays du Nord que les pays du Sud, et chacun doit pouvoir y répondre et travailler de façon collaborative. Mais aussi, le point important, c’est que les problèmes ne sont pas les mêmes. En l’occurrence, au Nord, ce qui pose problème, c’est entre autres une trop grande importance du nombre de déchets. Dans le Sud, c’est plutôt un problème de croissance démographique. Donc, il y a là une adaptation des solutions à mettre en œuvre. De la même façon, un point essentiel qui est partagé, c’est celui de la responsabilité. Cette notion de responsabilité qui, aujourd’hui, connaît beaucoup de succès, par exemple avec la notion d’innovation responsable, elle apparaît vraiment avec le développement durable. La responsabilité avec le développement durable, c’est celle de notre génération envers les générations futures, c’est aussi celle à l’intérieur d’une même génération entre les pays pauvres et les pays riches. C’est l’équité intergénérationnelle. Et un certain nombre de principes nouveaux vont en résulter, comme le principe de précaution. Et pour comprendre finalement quels sont les facteurs qui sont liés aux problèmes de pression sur l’environnement, nous pourrons revenir sur cette équation assez simple qui est l’équation d’Ehrlich de l’économiste qui l’a proposée, et cette équation, elle nous dit la chose suivante : « I » qui représente l’impact, le stress sur l’environnement - par exemple cela peut être le stress sur le climat, sur la biodiversité. Cet impact environnemental est lié à trois facteurs : un facteur qui est celui de la population, de la dynamique de la démographie. Le facteur qui est celui de la consommation, l’intensité de la consommation, et « T » qui représente finalement tout ce qui est lié au changement technologique, l’éco-efficacité, donc une économie. Et cette éco-efficacité, elle est extrêmement importante parce que c’est elle qui va aider à contrebalancer la croissance de la population ou la croissance de la consommation. En d’autres termes, pour pouvoir limiter les stress sur l’environnement, il faut soit diminuer la population, soit diminuer la consommation matérielle, soit accroître finalement l’efficacité écologique d’une économie par des investissements, par des innovations, par des nouveaux modes de production. Et cet indice de pression sur l’environnement, on le compare à la capacité de charge sur l’environnement qu’il ne faut pas dépasser. Donc en fait, on voit apparaître là des facteurs qui vont aider à orienter des politiques au niveau macroéconomique, mais aussi au niveau microéconomique des entreprises. Parmi les différents défis auxquels le développement durable fait cours, il y a tout d’abord cette question d’interdépendance. Il va falloir résoudre à un moment donné les objectifs que sont ceux de l’économie, du social et de l’environnemental, c’est-à-dire comment finalement une économie va pouvoir donner à un moment donné la priorité à des questions environnementales sans avoir des impacts négatifs sur le sociétal ou sur l’économie, donc des problèmes d’interdépendance. Il faut également s’assurer que l’intégrité des systèmes économiques, sociaux et écologiques soit maintenue. C’est donc un défi important, un défi pour lequel il va falloir trouver des politiques, des instruments qui répondent à cela. La quatrième dimension du développement durable, finalement, on le voit, c’est celle de la gouvernance. La gouvernance est importante parce que, pour pouvoir mettre en musique ces trois dimensions économique, sociale, environnementale, pour pouvoir faire des choix, il va falloir mettre en place toute une série de procédures, de choix de gouvernance, de régulation et en fait, la sphère politique est un domaine d’arbitrage important. C’est aussi celle qui va finalement permettre de choisir les priorités à un moment donné. C’est par exemple véritablement cette quatrième dimension qui a été à l’œuvre par exemple dans la question de la COP 21 et sur les solutions qui ont été trouvées. On voit bien qu’il s’agit d’un compromis politique entre des multiples intérêts en jeu, des intérêts économiques, des intérêts sociaux et des intérêts écologiques, et que finalement, c’est cette sphère politique qui joue un rôle extrêmement important en matière de développement durable. Donc les nouveaux enjeux du développement durable font surgir finalement quatre nouveautés. Une première nouveauté qui est celle de la multi-dimensionnalité. On voit bien, multi-dimensionnalité, économique, sociale, écologique, tout cela est lié mais en même temps, on voit que même pour des problèmes environnementaux, lorsqu’on extrait des ressources épuisables, cette extraction de ressources va accroître aussi des problèmes de pollution. Donc on a des problèmes de relation de multi-dimensionnalité des activités. Et on peut citer René PASSET, un des pères fondateurs de l’économie écologique en France, qui indique bien qu’il va falloir finalement prendre en compte l’interaction entre la sphère naturelle, la sphère sociale et la sphère économique pour pouvoir répondre aux enjeux du développement durable. Parlons maintenant de l’irréversibilité. En effet traditionnellement, il était toujours possible de trouver des solutions, y compris à des problèmes de pollutions graves. Il suffisait d’avoir des techniques de dépollution. Par exemple, la Tamise qui était extrêmement polluée a pu être dépolluée dans les années 1970-1980 grâce à des techniques extrêmement sophistiquées, à tel point qu’ensuite les saumons sont revenus dans la Tamise. Donc, il était possible d’avoir des solutions qui permettent d’avoir une réversibilité. Aujourd’hui, avec les pollutions globales, le changement climatique, on atteint des seuils d’irréversibilité. Même chose avec les pertes en biodiversité. Une fois que l’espèce a disparu, on ne peut plus la ramener. Bien sûr, on peut toujours être dans le futurisme et se dire qu’on pourra, grâce à la génétique, faire revenir des dinosaures, mais en réalité, aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Cela poserait certainement d’autres problèmes. On voit bien des problèmes d’irréversibilité. Des problèmes d’équité, nous en avons parlé tout à l’heure, d’équité intra et intergénérationnelle qui signifie qu’il faut faire des choix, de la répartition du bien-être à l’intérieur d’une même génération, pays pauvres - pays riches, et puis entre des générations. Cela veut dire qu’il faut peut-être sacrifier à un moment donné une partie de notre bien-être aujourd’hui, qui repose sur beaucoup d’exploitation et d’utilisation de ressources énergétiques fossiles extrêmement nocives en matière de changement climatique, mais que cela doit être fait pour tenir compte du bien-être des générations futures. Dernier enjeu, celui de l’incertitude qui n’est pas des moindres puisqu’elle est omniprésente. Cette incertitude, elle concerne des réserves de ressources. En fait, on ne sait absolument plus aujourd’hui quelles sont vraiment les réserves de ressources dites épuisables, sur les potentialités d’innovations, sur les conséquences des innovations, sur finalement les impacts du changement climatique sur le très long terme, sans parler bien entendu des incertitudes quant aux attentes des générations futures. Par exemple, qui aurait cru qu’aujourd’hui les plus jeunes n’aient plus envie nécessairement d’être propriétaires d’une automobile, mais ce qu’ils souhaitent, c’est d’avoir accès au service à la mobilité et nous sommes passés, nous passons progressivement d’une société de produits à une société de services. Là aussi, c’est un changement qu’on n’avait pas anticipé mais en réalité, il y a en fait beaucoup d’incertitudes de ce type pour les générations futures. Donc beaucoup de défis pour le développement durable et pour les politiques qui vont devoir être mis en œuvre pour y répondre. Merci.