Bonjour à tous. Je suis Sylvie FAUCHEUX, professeur des universités au Cnam, spécialisée en économie du développement durable. Aujourd’hui, nous allons voir comment nous sommes passés d’une vision de croissance économique à la vision du développement durable. Alors, il faut se remettre dans le contexte des Trente Glorieuses, de 1945 jusqu’à 1974, où nous étions là véritablement dans une vision de croissance économique ininterrompue à tel point que les seules préoccupations étaient de savoir comment transposer cette croissance économique et les possibilités de croissance économique aux pays les plus pauvres. Et vous avez sur l’écran une définition qui me paraît tout à fait intéressante du 33ème Président des Etats-Unis, Harry TRUMAN, lors de son investiture, qui va insister sur ce qu’il entend par notion de développement. Ce qui est une idée tout à fait aussi nouvelle puisque nous étions à cette période dans une vision encore colonialiste. Et donc les Etats-Unis essaient de se démarquer avec cette idée de développement qui ne serait rien d’autre finalement que la transposition des éléments donnant la possibilité aux pays les plus pauvres d’arriver aussi sur une trajectoire de croissance économique. Alors, regardons ensemble cette définition. « Il nous faut lancer un nouveau programme qui soit audacieux et qui mette les avantages de notre avance scientifique et de notre progrès industriel au service de l’amélioration de la croissance des régions sous-développées, donc vision de croissance. Leur vie économique et primitive est stationnaire. Leur pauvreté constitue un handicap et une menace tant pour eux que pour les régions les plus prospères, c’est aussi une notion extrêmement intéressante. Je crois que nous devrions mettre à disposition des peuples plus pacifiques, les avantages de notre réserve de connaissances techniques. Nous voyons là le rôle du progrès technique dans cette conception de la croissance afin de les aider à réaliser la vie meilleure à laquelle ils aspirent et, en collaboration avec d’autres nations, nous devrions encourager l’investissement des capitaux dans les régions où le développement fait défaut. Une production plus grande est la clé de la prospérité et de la paix. » Donc, vous voyez aussi cette idée selon laquelle la prospérité, le développement repose sur une accumulation, un accroissement de biens, une production plus grande. Et là, nous sommes dans la vision de ce que sera celle du développement de tous les organismes internationaux jusque, on peut dire, aux années 1970, fin des années 1970. Et la vision qui est théorisée par ROSTOW, ROSTOW qui est un économiste mais qui est aussi un conseiller très proche du Président des Etats-Unis, va proposer un modèle qui s’appelle des étapes de la croissance qui, finalement, repose sur une vision assez biologique des choses, un peu comme une graine qui va commencer à prospérer jusqu’au moment où elle va atteindre sa maturité, et là nous serons dans une vision d’un développement qui pourra se poursuivre. Donc dans cette perspective, l’idée qui est partagée par les instances internationales est que finalement on part d’une société traditionnelle, on va ensuite avoir des conditions du décollage, ce sont les investissements, les progrès techniques. Ensuite, le décollage va se produire, une certaine maturité et la consommation de masses, le bonheur absolu, et ce développement, cette croissance qui, finalement, pourra être partagée par l’ensemble des peuples, mêmes les plus pauvres. Donc voilà quelle est la vision que nous pouvons considérer un petit peu comme caricaturale aujourd’hui, quelle est la vision qui va prédominer pendant les Trente Glorieuses en termes de développement économique. Cela étant, on se rend compte, même au milieu des années 1970, que ce modèle linéaire constitue un échec. Les pays les plus pauvres n’ont toujours pas décollé, c’est même de pire en pire, et ils sont confrontés à un problème de dette extrêmement importante. Alors, le développement dans les années 70 doit être repensé et c’est la raison pour laquelle on va voir se propager un certain nombre de travaux très intéressants comme ceux de l’écodéveloppement par l’économiste français Ignacy SACHS qui va parler d’un développement finalement endogène et qui doit tenir compte aussi des diversités culturelles, des richesses locales. On va avoir la notion de développement de croissance endogène qui va arriver, le développement autocentré. On parle même de post-développement. Bref, cette vision d’une croissance économique qui serait transposable de façon linéaire est complètement battue en brèche à ce moment-là. Par ailleurs, à la même période, un autre problème majeur qui arrive, c’est l’arrivée de ce que l’on va qualifier de pollution globale. Première pollution globale, la diminution de la couche d’ozone. Même quelques années auparavant, on avait parlé des pluies acides qui étaient une pollution transfrontières, mais arrive dans les années 80 la diminution de la couche d’ozone qui est un problème mondial. Ensuite arrive tout de suite après la menace du changement climatique. Donc là, on se rend compte également que les problèmes d’environnement ont changé dramatiquement de dimension puisque jusqu’à cette période, ils étaient localisés et réversibles, là ce n’est plus le cas. Nous sommes confrontés à des problèmes qui risquent de remettre en cause même l’existence des êtres humains. Donc vous voyez, les années 70, c’est véritablement la confrontation à la fois de limites de l’économie, de limites de la croissance économique, et puis également de limites des questions environnementales. Quelques repères importants pourtant devraient nous revenir en mémoire. Au XIXème siècle, déjà des économistes s’étaient penchés sur les problèmes que pouvait constituer l’insuffisance de ressources naturelles pour la croissance économique. C’était le cas par exemple de Stanley JEVONS, un économiste anglais qui avait travaillé sur la question du charbon et la dépendance de l’économie au charbon. On pourrait bien sûr parler de l’économiste très connu, Thomas MALTHUS, connu mais aussi méconnu puisqu’on a pendant très longtemps un petit peu ridiculisé ses théories et son essai sur le principe de la population qui date de 1798 et qui insistait déjà sur le problème que pourraient rencontrer à terme les sociétés humaines en raison de l’accroissement de la population, de l’accroissement des biens consommés et puis de l’insuffisance des ressources naturelles. Donc, beaucoup pourtant d’économistes avaient déjà mis en garde contre ces problèmes qui, finalement, surviennent bien plus tard, c’est-à-dire autour des années 1970. Citons également René DUMONT, L’Utopie Ou La Mort, qui est le premier auteur écologiste français, de 1973 et qui, à l’époque, avait connu un certain succès. Alors on peut le dire, le développement durable répond à une double impasse. Une impasse économique et écologique, des modèles hérités d’après-guerre, des modèles qui ont été sous-jacents aux Trente Glorieuses. Or les Trente Glorieuses s’achèvent dans les années 1970 et on peut dire que la pérennité du développement est posée et le développement durable peut naître et se propager. Je vous remercie.